Une journée difficile : écoute et communication avant médecine et chirurgie

 Aujourd’hui c’est dimanche. Je travaillais hier et si j’ai eu envie d’écrire ce n’est pas spécialement parce que j’ai eu une journée très chargée en médecine interne ou avec des grosses chirurgies. Je n’ai “rien eu de fou” comme on pourrait résumer la journée à un(e) ami(e). La particularité de mes consultations est qu’elles ont toutes étaient assez lourdes à gérer émotionnellement ou en termes de communication avec les propriétaires. C’est une de ses journées que l’on finit épuisée, avec une batterie sociale à -10000, et la sensation mitigée que l’on est utile et heureux d’être là mais que c’est vraiment un métier de con.

Aujourd’hui je vous propose qu’on parle des humains derrière les animaux. Le véto et le proprio.

Hier j’ai donc commencé et terminé mes consultations avec deux euthanasies de vieux chats. C’est triste mais ça fait partie du métier me direz-vous. La particularité de ces deux chats c’est qu’ils n’ont pas été médicalisés pour leurs pathologies respectives. Le premier car il n’y a pas de suivi après la première consultation il y a plusieurs mois. Le second parce que la première consultation a eu lieu la veille, aucun diagnostic n’a pu être posé car aucun examen complémentaire n’a été réalisé. Beaucoup de raisons peuvent se cacher derrière cet apparent “refus de soin” : impossibilité de donner un traitement régulier, difficulté de le voir vieillir, mauvais souvenir d’une errance médicale sur un précédent animal et refus de traverser ça à nouveau, difficultés financières … La conclusion est la même : il faut le piquer docteur. Ça sera un soulagement pour tout le monde. Mais le docteur en moi lutte. Euthanasier un animal qui souffre, dont le confort de vie n’est pas assuré, qui se dégrade face à une pathologie incurable : bien sûr. Euthanasier un animal pour qui je n’ai ni diagnostic ni traitement en place, pour qui on n’a “rien essayé”. Euthanasier parce qu’il est vieux, parce que maintenant on ne pourra plus rien faire (c’est vrai, mais il y a 6 mois ? il y a 3 semaines ?). Alors bien sûr j’adapte au cas par cas. Ici les animaux souffrent du manque de traitement ou de soin, la détresse des propriétaires est réelle, alors j’aide ces chats à partir en douceur, pour qu’ils arrêtent de convulser quotidiennement ou pour qu’ils arrêtent de se laisser mourir de faim. Mais c’est dur.

En partant, un des propriétaires me tend le chèque et me dit, avec un sourire ironique et des larmes pleins les yeux, “vous imaginez ça vous, que je paye pour tuer mon chat”. C’est un poignard dans mon cœur de soignante.

J’arrive à garder une contenance. “Je ne dirai pas ça. Je dirai que vous avez payé pour la soulager. En tout cas je vous souhaite beaucoup de courage”

“Merci docteur, j’en aurai besoin. Je vais vous dire, à 92 ans, il me reste quoi ? Deux ans à vivre ? Je lui en aurai donné un sans hésiter à cette chatte.”

Il me dit ça. Alors qu’il n’a pas donné 24h au traitement mis en place hier par ma collègue pour faire effet. Dans la tristesse et la douleur, je suppose que la logique et la raison n’ont pas leur place.

Est ce que je serai jugée pour avoir euthanasié ces chats ? Pour ne pas m’être opposée à corps et à cris ? “Non laissez-la moi en hospitalisation il faut tenter quelque chose !”

Mais si je ne trouve rien ? Si je trouve quelque chose de grave qui nécessite l’euthanasie finalement ? Et si cette minette de 16 ans était tout simplement en train de se laisser mourir de vieillesse avec son début de carcinome sur le nez et son souffle cardiaque ? Le chat aura perdu du temps, les gens de l’argent et moi j’aurai perdu leur confiance pour soigner les animaux qui leur restent. 

Toutes ces pensées tournent en boucle. Est ce que j’ai fait ce qu’il fallait ? Pour ces animaux ? Oui, j’ai soulagé la douleur. Pour ces gens ? Oui, j’ai répondu à leur demande. Pour moi ? Non.

Mais ça, personne ne le saura. Puisque lorsque la porte s’ouvre, c’est une vétérinaire souriante qui appellera “Bonjour c’est pour Osmin* ? Il éternue ? Allez, venez avec moi, je vous laisse entrer en consultation.”

Le Osmin en question présente des éternuements depuis plusieurs jours et du reverse sneezing depuis la veille. Son propriétaire a peur qu’il ait inhalé une herbe ou un corps étranger. Je garde donc le jeune chien pour le sédater et pouvoir explorer son nez. L’endoscope me permet d’évaluer ses cornets nasaux par les narines et ses choanes en passant derrière le palais mou par la cavité buccale. A part une rhinite très importante je ne trouve rien de spécial (certains sauront la frustration de ne pas retirer d’épillet lorsqu’on a une suspicion …). Mais mon examen me permet également de réaliser un prélèvement (présence de mucus purulent dans les deux cavités nasales) et d’effectuer un rinçage.

Les consultations se poursuivent. Le planning est plein mais ça s’enchaîne bien : un contrôle de plaie, deux vaccins de chiots (la consultation pédiatrique c’est par ici !), un petit tour au chenil voir Shine qui boude toujours sa nourriture, mais arrive à boire et à se déplacer.… On nous dépose un chat pour un abcès. Il faudra que je trouve … que je prenne le temps de l’examiner et de l’opérer à un moment dans la journée. Mais pour l’instant je dois surtout voir Lolita, une minette suivie pour une AHMI. Son traitement fonctionne et la formule sanguine de contrôle quelques jours avant était en amélioration. Mais lolita éternue, a du jetage purulent, commence à perdre l’appétit. Suite au stress et à la mise en place de la prednisolone à forte dose, son coryza est revenu. Elle n’en mourra pas a priori mais sa maîtresse est extrêmement inquiète. Mon rôle ici a été de lui expliquer pourquoi un rhume maintenant, alors qu’elle avait une maladie du sang. Pourquoi je ne peux pas lui donner n’importe quoi comme traitement vu ce qu’elle prend déjà. Je suis également honnête avec elle : je crains certaines interactions antibiotiques avec la doxycycline, et de tête j’ai un doute qui me taraude … pénicilline, macrolide … qui est interdit, qui est recommandé. Je lui demande de patienter le temps de vérifier afin d’être certaine de ce que je prescrit. Je fais également attention aux effets secondaires potentiels et élimine d’office les antibiotiques pouvant présenter un risque au niveau de l’hématopoïèse ou un risque d’anémie. Il y a quelques années j’aurais eu du mal à dire au propriétaire “je préfère vérifier”. Au final, on se met la pression comme si tout savoir était normal, et qu’admettre un doute ou des méconnaissances dans un domaine était signe d’incompétence. La propriétaire n’était pas du tout scandalisée, au contraire elle m’a remerciée pour mes explications et d’avoir pris le temps de vérifier pour être sûre de mes prescriptions à 200%.

A 11h30 j’ai rendez-vous avec un propriétaire qui doit venir rediscuter du cas de son chat et régler sa facture. Il est passé la veille mais je ne travaillais pas et il a dit à mes collègues qu’il préférait me régler directement. Moi qui était si bisounours et qui faisait une confiance aveugle à mon prochain … Je deviens méfiante et cynique, je pense surtout qu’il fera tout pour ne pas régler, maintenant qu’il a pu discuter avec mes collègues et qu’on lui a tout expliqué. Effectivement le monsieur ne se présentera jamais et ne répondra plus au téléphone. Les impayés sont malheureusement monnaie courante (jeu de mot hilarant s’il en est) qui desservent les personnes honnêtes … Mais c’est un autre débat.

Je profite de ce creux dans le planning pour répondre aux mails, vérifier les résultats d’analyse en attente et appeler les propriétaires concernés. Qui pour une copro positive à la giardiose, qui pour une anapathologie sur masse. Je fais également une radiographie abdominale à Shine, qui ne montre rien de particulier si ce n’est une légère constipation. De toute façon pour le repas de midi je reste sur place. J’économise l’essence et le temps, mais je déconnecte peu … Eliot le chat avec son abcès sur les fesses n’est pas touchable vigile, le bilan rénal sera fait en parallèle de sa tranquillisation. Après tonte et nettoyage, je pare les plaies et surveille le réveil en mangeant mon repas.

A 14h je vois en contrôle le chien Casper pour un ulcère cornéen qui n’évolue pas correctement. Malgré le traitement rigoureux par son propriétaire, le chien est toujours très gêné et surtout mon test à la fluorescéine me montre un ulcère qui ne cicatrise pas du tout. Je n’ai pas de trace de corps étrangers dans l’œil ou de cils ectopiques pouvant l’expliquer. Je propose alors deux options thérapeutiques au propriétaire : nous pouvons prévoir une tarsorraphie lundi à la clinique pour fermer l’œil et laisser cicatriser sous la paupière, ou si l’on veut d’autres options de prise en charge, l’envoyer à un spécialiste pour un second avis.

Il me paraît important de parler de deux choses ici :

  • savoir QUAND référer, ce n’est jamais évident, mais évoquer cette option “tôt” dans la prise en charge permet bien souvent de déstresser les propriétaires. On leur dit qu’on a des options, que même si les premiers traitements ne fonctionnent pas ou pas complètement, on n’est pas démuni, on aura d’autres options. C’est rassurant pour eux. Cela montre également qu’on a le meilleur intérêt de leur animal à cœur, et que l’on n’hésitera pas à demander de l’aide, un avis ou un traitement à un autre vétérinaire. Je n’ai eu QUE des bons retours des propriétaires à qui je proposais un second avis, qu’ils décident d’y aller ou pas.
  • il ne faut pas le vivre comme un échec ! J’ai encore du mal là dessus, je l’avoue. Un petit bout de mon cerveau pense toujours que si j’avais fait plus ou si j’avais fait mieux peut être que … Mais c’est FAUX. Si des spécialistes existent c’est bien pour une raison. Je ne peux pas avoir les savoirs faire ET le matériel d’un cardiologue, d’un ortho, d’un ophtalmo, d’un interniste ……. Même si j’essaye de m’améliorer constamment et de me tenir informée, je dois accepter que certains cas ne soient pas de mon ressort. Il est très important de faire la paix avec ça pour pouvoir référer, et ne pas faire perdre des chances à un animal par fierté mal placée.

Dans ce cas, une chirurgie a été réalisée, et nous avons revu le chien pour ses contrôles : son œil a parfaitement cicatrisé ! Peut être que cela aurait été le cas avec ma tarso, je ne le saurai pas, mais il était primordial que le propriétaire ait conscience de ses options et qu’il décide du plan thérapeutique en connaissance de cause.

Je reçois ensuite Noisette, un petit teckel de 5 ans qui semble avoir mal au dos. Mon examen clinique ne montre pas d’atteintes neurologiques. Cependant je me méfie de ses chiens et leurs hernies et je préfère prévenir les propriétaires. Le traitement mis en place soulagera les douleurs mais ils devront surveiller des récidives ou une aggravation de son état. Un examen d’imagerie plus poussé pourra nous renseigner sur d’éventuelles compressions médullaires (on en revient à la proposition de référer : ils n’iront peut être pas faire un scanner, mais ils savent que cette option existe, et j’aurai beau me perfectionner en neurologie, je n’aurai jamais un scanner à la place des yeux !).

L’après-midi avance, mon chat avec son abcès aux fesses se réveillent bien. Je commence à gaver un peu Shine, elle prend gentiment la pâtée diluée dans un peau d’eau. J’ai 5 minutes pour écrire un mail à mon confrère ophtalmo pour lui envoyer le dossier de Casper. Promis après j’arrête de vous bassiner avec “comment référer” ou au contraire on écrira un article rien que sur ça. Quand on réfère c’est PRIMORDIAL d’envoyer toutes les infos à votre confrère / consoeur ! Pour avoir été de l’autre côté de la barrière, recevoir un animal avec zéro informations, aucune idée de pourquoi il est là, quels examens ont déjà été réalisés, qu’est ce qui a été dit aux propriétaires … et être obligée d’aller à la pêche aux informations entre deux consultations, c’est chronophage et frustrant … D’une part ça évite de refaire des analyses qui auraient déjà été faites, d’autre part cela permet d’orienter son discours en fonction de ce que le vétérinaire précédent a déjà dit ou expliqué. Cela fait gagner du temps à tout le monde, notamment à l’animal.

Mais c’est au tour de Sucrette qui vient pour contrôler une otite récidivante que nous avons traité suite à un antibiogramme … L’oreille est parfaitement guérie ! Sucrette a encore pris du poids … Elle a beau être là pour son oreille, c’est aussi l’occasion de discuter alimentation et obésité avec sa propriétaire. Je propose notamment de vérifier sa glycémie, normale, ce qui rassure la propriétaire ayant déjà eu un animal diabétique dans le passé.

Après une journée comme ça, je suis contente de pouvoir débriefer avec mes collègues : en direct avec ma collègue ASV qui m’a soutenue toute la journée, et en différé avec mes collègues vétos via messagerie instantanée. En rentrant j’essaye de déconnecter, un bon repas, une soirée en amoureux, une balade avec mes chiens, mais je ne vous cache pas que ces chats et ces chiens tourneront encore quelques jours dans mon cerveau … Écrire un 24h chrono est aussi un moyen pour moi d’exorciser tout ça ! De prendre du recul, d’y réfléchir au calme et de mettre des mots sur mes réactions, mes émotions et mes échanges, pour essayer de faire mieux ou en tous cas de mieux vivre toutes les prochaines expériences qui m’attendent et qui font de ce métier, un job intéressant, passionnant, épuisant, enrichissant, si dur et si beau à la fois.

Marie

Ce 24h Chrono est disponible sous forme de story interactive sur notre page instagram @vet_side !

*Les prénoms des animaux ont été changés.

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