Vingt-quatre heures, et même plus encore …

Aujourd’hui mercredi, je pars pour 24h car j’enchaine ma journée de travail avec une nuit de garde. Rien de bien exceptionnel si ce n’est que c’est la deuxième fois cette semaine : j’ai hâte d’être en vacances !

– La Journée –

Je travaille dans le cabinet secondaire de la structure aujourd’hui, en général l’activité est plus calme et c’est sur ces journées que je gère les réseaux sociaux de la clinique (préparation de post, recherche biblio, tri et retouche de photo).

La matinée est plus que tranquille, une castration de chat, une vaccination, un suivi d’un jeune chat calicivirus. Ce chat a moins d’un an et présentait déjà une gingivite monstrueuse qui l’empêchait de manger et de prendre du poids correctement. Depuis son extraction totale de dents il revit, même si ça a été une décision (et un acte !) difficile sur un chat aussi jeune. La communication sur ce type d’intervention est primordiale car proposer de retirer toutes les dents d’un animal peut être choquant pour le propriétaire, l’explication de la gingivo-stomatite, et des avantages de l’extraction totale SANS guérison complète … Bref c’est parfois compliqué… En fin de matinée un suivi de cystite de stress sur une vieille minette hypertendue et un contrôle de plaie qui cicatrise bien.

Dans la matinée, j’ai jeté un oeil à l’après-midi qui s’annonce, elle, beaucoup plus chargée. Je remarque que j’ai une identification de portée. Je sais que certains vétérinaires adorent ces moments là, la consultation pleine de chiots etc. C’est une des choses que j’aime le moins faire (je préfère une extraction totale de dents que des certificats de cessions c’est pour dire). Je trouve que l’aspect travail à la chaîne est assez désagréable, ce n’est pas comme une primovaccination où l’on discute avec le propriétaire, ici les chiots vont partir de toutes façons. Mais surtout le fait que les chiots représentent le gagne-pain de l’éleveur rend les actes “surveillés”, cette sensation que mon examen est destiné plus à remplir un papier qu’à la santé de l’animal : il ne faut rien laisser passer mais en même temps si on pouvait ne rien trouver ça serait mieux hein. Bref pour moi ça n’augure pas forcément un bon moment. Je me rends compte que la plage horaire bloquée est en plus relativement restreinte … Il y a eu un bug à la prise de rdv et on a bloqué une heure sur le planning, pour 9 chiots. Très clairement 6min30 pour faire un examen clinique complet, un vaccin, une identification et un certificat de cession, c’est mission impossible. Pour couronner le tout, le compte des vaccins disponibles n’est pas le bon non plus, je suis obligée de trouver une solution avec la structure principale au pied levé.

Bref je suis d’une humeur de chacal quand les chiots arrivent. Comme prévu c’est la course, j’essaye d’être la plus appliquée possible yeux/bouche/oreille/coeur/poumon/abdo/peau/patte/génital/température. Heureusement ma super ASV a préparé les carnets et les puces à l’avance et je gagne de précieuses minutes. Malgré tout, on prend du retard car nous ne sommes que deux avec l’ASV et il faut s’occuper des chiots, des dossiers, de l’accueil et du téléphone qui choisit ce moment-là pour sonner en continu.

Entre deux cessions de chiots je rends ma castration de ce matin, fais un vaccin et un retrait de points. Et à la fin surprise j’ai un hamster en salle d’attente : il a moins d’un mois, tient dans le creux de ma main (qu’il mord fort pour une si petite bête aïe), ne déclenche pas la balance et présente une plaie sur le flanc surement suite à une bagarre avec les autres. Vu le bon état général de l’animal (il court partout, a bon appétit et n’est pas gêné, la plaie est sèche et propre) j’explique à la dame que je n’ai absolument aucune idée de ce que je peux mettre en place comme traitement sur un animal aussi jeune, aussi petit, qu’il faut que je recherche un peu de documentation. Pour aller plus loin il faudrait le sédater à l’isoflurane pour explorer sa blessure, je suspecte une hernie abdominale latérale sous la blessure cutanée. Je préfère être honnête et lui proposer de la référer dans une structure spécialisée en NAC, mais ce n’est pas son souhait. Je me note donc les recherches à faire.

Je finis l’après midi sur les rotules, mes dossiers ne sont pas remplis et les certificats pas imprimés je les finirai demain, là je dois partir pour être à peu près à l’heure à la structure de garde, à 15km.

Sur le trajet je fulmine : je n’ai pas eu une minute pour boire ou faire pipi mais en même temps je n’ai “rien fait”. Je n’ai pas eu de médecine du tout (ou quasiment pas), j’ai pris du retard, j’ai dû laisser mon ASV seule finir de ranger la clinique, et je dois enchaîner avec la garde.

J’essaye de faire le point : il n’y a rien de grave, personne n’est mort, je pourrai passer demain finir de remplir les infos manquantes. J’aurai tout au plus 10 minutes de retard à la garde ce n’est pas excessif, l’ASV aura ouvert la clinique et pris les premiers appels. Je me note aussi de discuter rapidement avec les patrons et les ASV de l’organisation du planning d’aujourd’hui car je n’ai pas aimé travailler dans l’urgence et j’ai peur d’être passée à côté de quelque chose sur la portée de chiots (je vous l’avais dit que ça me stressait plus qu’une chirurgie cette histoire). Mais ce petit trajet en voiture me permet vraiment de faire “sas de décompression” et de réaliser que toutes les petites raisons qui me mettent en rage ne sont en fait pas si graves, et j’arrive à ma garde à peu près sereine.

Je réalise également que prendre 5 minutes dans l’après midi (pour aller aux toilettes par exemple) m’aurait permis de faire ce sas de décompression plus tôt, de ne pas passer l’après midi sur les nerfs, sans forcément me faire perdre beaucoup de temps … Mais bon la tête dans le guidon on est persuadé que chaque minute compte !

– La Nuit –

Les deux premières heures sont consacrées au rangement, nettoyage et à un peu d’administratif (une propriétaire vient régler un du). On en profite pour manger un morceau. Le téléphone sonne un peu avant 21h. Une jeune chienne habituée au pica présente depuis 48h des diarrhées et des vomissements … Forcément j’ai une petite montée d’adrénaline en pensant à l’éventuel corps étranger digestif qui nécessiterait une prise en charge chirurgicale …

Après une palpation abdominale et une radiographie, on serait plutôt sur une bonne gastro liée à des indiscrétions alimentaires tout au long de la randonnée du week-end ! Les gens repartent soulagés avec un traitement symptomatique et la consigne de voir leur vétérinaire traitant en cas de persistance des troubles digestifs. Dans les minutes qui suivent arrivent une petite chienne en OAP avec ses propriétaires très stressés. La Cavalier King Charles est surveillée comme le lait sur le feu depuis plusieurs jours car elle enchaîne les oedèmes, elle arrive cyanosée et en détresse respiratoire aiguë. Ces montagnes russes émotionnelles en garde me sont plus pénibles qu’en journée : j’ai déjà plus de 10h de travail derrière et je dois gérer l’urgence médicale en même temps que le stress des propriétaires. Une fois la chienne stabilisée, j’explique le pronostic sombre aux propriétaires. Elle reste sous surveillance de l’ASV pendant que je prends en charge deux autres animaux : un choc allergique sur un bouledogue et un saignement gingival. 

C’est l’occasion de faire le point sur “l’urgence vraie” (l’OAP ou le choc allergique) et “l’urgence ressentie”. Au téléphone on annonce à l’ASV un chiot Staffie de 4 mois avec une hémorragie, “le sang sortait de la bouche”, ça s’est un peu calmé mais le chien a l’air gêné. L’état général est bon, mais dans le doute elle propose aux gens qu’ils soient reçus ce soir. Un corps étranger coincé dans la gueule ? Une blessure touchant un vaisseau important ? Nope … Juste un chiot qui fait ses dents … Deux dents de lait bougent et en appuyant sur la gencive provoquent des saignements. J’attrape les dents concernées et elles me restent dans les doigts … Après l’extraction (digne d’un chirurgien dentiste) des deux coupables, la staffie a pu rentrer chez elle libérée délivrée ! Bilan : on ne sait jamais trop sur quoi on va tomber : au téléphone les gens peuvent avoir tendance à minimiser ou au contraire à exagérer les signes cliniques ou l’état de leur animal, au moindre doute et surtout si les gens sont très inquiets je propose toujours de les recevoir. Le rôle de l’ASV dans ce triage est primordial (quand on a la chance d’avoir un(e) ASV évidemment !)

Revenons à la petite CKC : malgré l’oxygénothérapie et tous les traitements mis en place, elle ne répondra pas et les propriétaires devront prendre la décision d’une euthanasie quelques heures plus tard. Cette prise en charge n’était pas “compliquée” médicalement parlant : un OAP, une décompensation cardiaque, déjà hospitalisée deux fois en moins d’une semaine qui finit par ne plus répondre aux traitements malheureusement ça arrive. En revanche humainement c’est très compliqué. Les propriétaires, extrêmement investis et attachés, ne comprennent pas pourquoi cette fois-ci elle ne se remet pas comme les fois précédentes. Pourquoi elle a continué à s’enfoncer ces derniers jours malgré les traitements mis en place. Ils mettent en cause les traitements administrés par leur vétérinaire, puis ma prise en charge, puis leur décision d’euthanasie … Puis s’excusent car ils savent que tout a été fait mais que malheureusement on ne l’emporte pas toujours. Ils pleurent et crient. Leur douleur et leur tristesse sont légitimes. Je ne leur en veux pas, mais toutes ces émotions me reviennent en plein cœur. Forcèment leurs reproches et leurs interrogations me font me remettre en question, “ai-je vraiment tout tenter pour cette chienne ? Mes doses, mes traitements, ma prise en charge étaient-ils les plus adaptés ?” … Je fais de la biblio sur le sujet, j’en parle avec des collègues. La conclusion est unanime : oui, son vétérinaire traitant et moi, on a fait tout ce qu’on a pu, mais on ne les sauve pas tous parce que parfois, il n’y a rien de plus à faire. Ils me rappelleront quelques jours plus tard sur mon lieu de travail pour faire le point sur la dégradation de leur chienne et sur les raisons de son décès. Ce coup de téléphone est à nouveau émotionnellement très difficile pour moi : je sais que je n’ai rien à me reprocher médicalement, les gens sont en train de suivre leurs étapes de deuil et il est normal qu’ils aient besoin de discuter de l’aspect médical pour avancer. À la fin de la discussion, ils me remercient et sont un peu apaisés. Je suis vidée et très triste. Difficile de faire la part des choses parfois.

Le reste de la nuit s’est passé relativement tranquillement (quelques coups de fils mais pas de consultation). Le lendemain matin je passe par la clinique principale pour finir de rédiger les certificats pour la vente des chiots, faire les recherches sur la gestion d’une plaie sur un bébé hamster, remplir mes dossiers de la veille … Puis je rentre me préparer un petit déjeuner avant de m’atteler à la gestion administrative du mois qui vient de s’écouler : je dois rédiger mes factures et envoyer mes pièces comptables à ma comptable. Heureusement, c’est bientôt l’heure de la sieste !

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