Véto canin, praticien : est-on prêt en sortant de A5 ?

“Je me souviens qu’en 4ème année j’ai partagé une nuit de garde aux urgences de l’école avec une étudiante en 5ème année. Entre deux soins ou consultations, nous échangions sur nos vies, nos aspirations et nos doutes. Elle me parlait de ses premiers remplacements, faits l’été précédent et de ses premières gardes en solo. Ce dont je me souviens le plus de cette conversation, c’est de m’être dit : mais comment a-t-elle fait ?! Je ne pourrais JAMAIS faire ça dans quelques mois ! Je suis incapable de gérer des consultations seule ! Et encore moins des urgences … J’oscillais alors entre peur panique et stupeur… 

 

À quel moment entre maintenant et dans 6 mois allais-je me sentir prête ?!

Pauline

Vous vous posez la même question ?! Vous voulez notre réponse, maintenant, avec le recul ? 

Et bien notre réponse est simple et sans appel, pour notre part, JAMAIS. À aucun moment avant la sortie de l’école, on ne s’est senties prêtes et totalement aptes à gérer seules des consultations, chirurgies ou urgences. Et c’est NORMAL si vous êtes dans cette situation ! 

Allez, maintenant que c’est dit, nous allons nuancer un peu tout ça et surtout, voir ce que l’on peut faire ensemble pour pallier ce sentiment d’inaptitude.

Prêt sur le plan théorique ?

En France, nos études s’organisent sur 8 semestres de tronc commun et, pour ceux qui se destinent à la clinique, un semestre d’approfondissement et un semestre consacré à la thèse.  

Les matières enseignées sont très variées et changent chaque semestre. Sur les deux premières années l’apprentissage se fait principalement autour de l’animal sain avec : l’anatomie évidemment, la physiologie, l’histologie, la biochimie … Dans un second temps apparaissent la sémiologie, l’imagerie, la chirurgie, la pharmacologie etc… 

Bref, notre socle théorique est extrêmement complet et large. Mais 5 ans, c’est court et long à la fois… En réalité, il y a tellement de sujets à aborder dans le domaine de la santé animale que la formation ne peut pas creuser chaque problématique au sein de ce tronc commun.

 

On s’explique, prenez l’exemple d’un étudiant A ayant pour objectif professionnel la recherche en épidémiologie ou en virologie par exemple. Bien évidemment cet étudiant va avoir besoin de pas mal de connaissances assez “générales” type physiologie, biochimie, histologie … toutefois les matières plus spécifiques à savoir l’infectiologie, l’épidémiologie, les biostatistiques, ne représentent environ que 17 Ects sur les 240 Ects du tronc commun. Prenons un étudiant B, ayant pour objectif la pratique clinique, en canine et notamment la médecine interne. Cet étudiant sera plus attiré par les matières spécifiques que sont la sémiologie, la médecine interne, les soins intensifs, l’imagerie, la thérapeutique, la biologie médicale… Pour cet étudiant, ces matières représentent environ 29,5 Ects sur les 240 du tronc commun. C’est mieux, mais ça parait peu !

Pour rappel, les Ects sont les European Credit Transfer and Accumulation System, calcul basé sur la charge totale de travail requise de la part de l’étudiant pour obtenir l’unité. 

Voici la répartition moyenne des enseignements du tronc commun, à l’école vétérinaire de Toulouse. De ces chiffres, on peut tirer deux conclusions :

  • Notre tronc commun est extrêmement riche et nous permet non seulement d’avoir des bases théoriques solides mais aussi de voir “un petit peu de tout” jusqu’en fin de 4ème année. Et oui car finalement rares sont les étudiants comme A et B qui savent directement à l’entrée de l’école ce qu’ils veulent faire et qui ne changent pas d’avis en cours de route ! L’école est aussi là pour nous donner un aperçu du champ des possibles et nous donner les bases dans chacun de ces domaines. 
  • Ce socle de connaissances nous donne principalement les clés pour comprendre et appréhender la santé animale. Toutefois, chaque domaine mérite d’être approfondi pour celui qui s’y intéresse ! 

Si je devais prendre mon propre exemple, qui s’apparente plutôt à l’étudiant B, pour moi, certaines matières du tronc commun sont parties aux oubliettes… et assez rapidement ! Par exemple, l’élevage des herbivores qui ne m’intéressait pas vraiment (voir pas du tout !). A l’inverse, quand je me suis retrouvée devant certains de mes premiers patients en garde ou en consultation de médecine, je me suis rapidement dit : oula… ça il faut que j’aille creuser !”

Pauline

Alors comment fait-on si l’on veut creuser ?!

En pratique canine, il existe moultes façons de se former sur nos domaines d’intérêt ! Certains de ces choix sont à réfléchir assez tôt puisqu’il s’agit d’années de formation au sein même de l’école, ou dans le privé, en post-diplôme. Ainsi, on peut décider de faire : 

  • Un internat public 
  • Un diplôme d’école 
  • Un internat privé 

Nous reviendrons plus en détail sur ces différents choix dans d’autres articles. 

Il est également possible de réaliser des formations diplômantes (CES, CEAV…) ou non (formations AFVAC, Veterinarius et autres) tout au long de sa carrière de vétérinaire. Ces formations ont un coût et représentent un investissement parfois compliqué pour un jeune vétérinaire débutant. 

Enfin, il est également possible de creuser ses connaissances théoriques par la lecture d’articles, le visionnage de conférences, les recherches bibliographiques … C’est une partie qui demande beaucoup de motivation et d’efforts car bien souvent ce sont des recherches qui se font après une journée de travail (sur les jours de repos ou le soir). Cette formation “perso” permet néanmoins d’approfondir rapidement et concrètement les points qui nous plaisent et nous paraissent manquer dans notre pratique quotidienne. 

Bref, l’école nous donne une base théorique énorme et stable ! Mais la théorie ça s’entretient et ça s’approfondit ! C’est loin d’être fini quand on est diplômé…

Prêt sur le plan pratique ?

En France, nos études contiennent plusieurs modalités d’accès à la pratique : 

  • Les travaux pratiques : dès la première année des travaux pratiques variés sont réalisés dans différentes matières : lecture de lames en histologie, dissections en anatomie, bactériologie, préparation chirurgicale…  
  • Les stages : plusieurs stages obligatoires jalonnent notre parcours. À Toulouse, la première période de stage est présente dès la première année et est tournée vers le monde rural. Chacun peut également réaliser des stages supplémentaires dits “facultatifs” sur des périodes de vacances par exemple. Ces périodes hors de l’école sont très enrichissantes pour mettre un premier pied dans le monde “réel” du travail. 
  • La clinique : selon les écoles, l’accès aux cliniques du centre hospitalier universitaire se fait entre le 3ème et la 4ème année. En temps partiel au départ puis à temps plein. Ces cliniques permettent de tourner régulièrement dans les différents services et d’apprendre petit à petit à mener une consultation : de la prise de commémoratifs, jusqu’à la réalisation d’examens complémentaires en passant par l’examen clinique. En pratique, si l’on devait être un peu critique sur cette partie clinique, on dirait qu’elle peut être insuffisante, voire frustrante. On s’explique : nous pensons clairement que ces cliniques sont indispensables et permettent de voir un nombre incalculable de cas très intéressants qui nous font tous progresser. Toutefois, sur le plan purement pratique … c’est autre chose. Pour vous donner un exemple, nous sommes personnellement sorties de l’école en ayant jamais pratiqué une échographie, une cystocentèse, et en n’ayant jamais examiné un conduit auditif à l’aide d’un otoscope. On trouve ça dommage. Alors pourquoi ? et bien parce que nous sommes beaucoup d’étudiants… Prenez l’exemple d’une chatte venue pour ovariectomie, il y aura parfois deux A3, un A4 et un A5 pour l’anesthésie et pareil pour la chirurgie. Qui pose le cathéter ? Qui opère ? Il n’y a qu’un seul cathéter à poser et que deux ovaires à retirer ! Cela donne parfois de grandes disparités en fonction des étudiants et des plannings des cliniques. Enfin, pour certains gestes les étudiants n’ont tout simplement pas l’opportunité de pratiquer.  Ce fut le cas par exemple de la cystocentèse qui était lors de nos années de clinique réservée aux internes et supérieurs, tout comme l’échographie.

“J’ai pour ma part eu la chance de réaliser au moins 5 ou 6 ovariectomies de chattes avant ma sortie de l’école mais certaines de mes amies n’ont pu s’exercer qu’une seule fois faute de rendez-vous lors de leur semaine de bloc… “

Pauline

“J’étais plutôt de l’autre team ! En sortant de l’école j’avais fait une demi ovariectomie de chatte, une demi castration de chat … bref pas bien glorieux !”

Marie

  • Les salles de pratique sur modèles : ce sont de nouvelles modalités d’enseignement qui ont vu le jour plus récemment. À l’ENVA par exemple, la devise est claire “jamais la première fois sur l’animal vivant”. Ainsi en 2016, l’école a ouvert VetSims, une salle de simulation de 120m2 ! Elle met à disposition des mannequins et des modèles afin de s’entraîner aux gestes techniques. L’école de Nantes a également développé Virtual Vet qui permet notamment de travailler sur la contention, les ponctions, l’échographie, les injections, les sutures etc… Ces salles sont un réel point positif selon nous : on peut tous s’entraîner, se rater et recommencer … 

Pour résumer tout ça, pour un vétérinaire se destinant à la clientèle canine, il est assez illusoire de dire que nous sommes prêts à la pratique en sortant de A5 !

Alors du coup comment fait-on ?! 

Si l’on ne se sent pas armé pour assumer une pratique autonome quotidienne, on met l’encadrement au centre des priorités de ses recherches de job ! Comme pour la partie théorique vue précédemment, on peut déjà choisir de réaliser un internat (public ou privé) ou un diplôme d’école. Mais ce n’est pas du tout une obligation !

De même, lors des premiers remplacements, il est important de rechercher à être encadré. Les premières gardes peuvent être réalisées avec un vétérinaire en back up dispo par sms, appel ou pour venir très vite si besoin ! Il est très important de rencontrer ou d’échanger avec ses futurs collègues avant un premier remplacement ou ses premières gardes. Et, de manière générale, nous aurions tendance à dire que si vous ne le sentez pas, si vous pensez que vous allez être un peu livré à vous même et que ça vous angoisse, alors n’y allez pas … Il n’y a rien de pire que de se forcer et que de vivre ensuite des premières expériences négatives parce que l’on était simplement pas armé pour y faire face !

Pour résumer, il faut être conscient et lucide sur vos atouts mais aussi de vos faiblesses en sortant de l’école (attention ça ne veut pas dire se rabaisser en mode “je ne sais rien faire”, mais ça on en reparlera 😉 ). 

“Dans mon cas, j’ai finalement commencé mes premiers remplacements en fin de 4ème année. Les vétérinaires avec qui je travaillais avaient été très rassurants et j’avais passé une journée sur place avant de dire oui. Cette toute première expérience fut top ! Au départ je ne prenais que les consultations de médecine préventive puis des petits bobos et finalement après 2 mois je m’occupais aussi de cas de médecine générale. J’ai pu y faire aussi mes premières gardes après un mois. Un vétérinaire était toujours disponible et surtout patient et pédagogue. Je pouvais même demander des avis radio par sms si besoin, à toute heure. Là-bas j’ai pu gérer mes premiers cas de SUF par exemple ! “

Pauline

“J’avais pour ma part fait de nombreux stages facultatifs (3 fois 15 jours si je me rappelle bien) dans la clinique qui m’a finalement proposé mon premier rempla : c’était très rassurant d’arriver dans des locaux que je connaissais, avec une équipe dans laquelle j’étais déjà intégrée et qui avait commencé à me former sur de nombreux aspects pratiques ! J’ai attendu la sortie de l’école pour commencer les gardes. Le fait d’avoir déjà travaillé plusieurs mois était un plus, j’y suis allée progressivement. Et c’est ok aussi, de ne pas se jeter directement dans le grand bain avec 15 consults dans la soirée, mais de commencer avec des journées tranquilles et des vaccins, avant le rush des nuits d’été !”

Marie

Prêt sur le plan émotionnel ?

La gestion du stress, la relation client, l’intégration dans une équipe, la gestion de sa recherche d’emploi … tant de thèmes sur lesquels nous ne sommes pas (ou trop peu) préparés à l’école. 

Les choses changent et tendent à s’améliorer petit à petit au sein des écoles avec de plus en plus de cours et d’ateliers de relation client, de gestion etc… Toutefois, le programme est déjà chargé et le manque de temps ne permet pas d’approfondir toutes ces thématiques pourtant si importantes dans le quotidien de vétérinaire. On passe cinq ans à tout apprendre sur les animaux et on passe nos journées à communiquer avec des humains, clients ou collègues : le décalage est important !

Nous espérons pouvoir développer au maximum ces sujets avec vous dans les prochains articles de Vet’side.

Concrètement, on gère comment ?

Il existe de plus en plus de formations qui donnent des outils sur la gestion du stress et le relationnel et c’est TANT MIEUX. Mais une grande partie vient aussi avec l’expérience, le fait d’avoir déjà été confronté à une situation vous permet de l’appréhender avec plus de sérénité les fois suivantes. Le fait de mieux se connaître aussi, savoir ce qui fonctionne pour vous et ne fonctionnera pas forcément pour quelqu’un d’autre.

C’est donc un jeu d’équilibre entre des outils théoriques et des habitudes pratiques qui permettent de mieux gérer au quotidien.

“En ce qui me concerne, le plan émotionnel a été vraiment le plus difficile à gérer à ma sortie d’école. J’ai eu la chance de ne pas passer par toute l’étape de recherche d’emploi, de candidatures et d’entretien, d’intégration dans une équipe etc … autant de choses qui m’auraient encore stressé un peu plus que je ne l’étais déjà. J’ai mis plus d’un an à être plus à l’aise dans mon métier et plus légitime (le syndrome de l’imposteur … on y reviendra !). Mon sentiment sur tout ça avec le recul : ne surtout pas hésiter à demander de l’aide ! Auprès de proches, de professionnels, du monde vétérinaire ou extérieur … être bien entouré durant cette période avec des conseils et des astuces, mais surtout du soutien me paraît essentiel.”

Marie

“Mes premiers mois ont été désastreux sur le plan émotionnel. J’ai eu beaucoup de mal à m’intégrer dans une équipe et certaines mauvaises expériences m’ont fait douter sur mon orientation. Je n’ai pas honte de le dire, j’ai eu besoin sur cette période de consulter une psychologue, qui m’a beaucoup aidée. Pour ce qui est de la relation client, j’ai l’impression d’avoir beaucoup apris auprès de mon équipe actuelle. Je me sens en accord avec la façon dont les ASV et les vétos intéragissent avec les clients humains et nos patients animaux. Parfois, je n’hésite pas à demander à mes collègues ou aux ASV si je ne sais pas comment m’y prendre avec un client.”

Pauline

Pour résumer, un vétérinaire canin est-il prêt en sortant de A5 ? En théorie, plutôt, en pratique, pas trop, sur le plan émotionnel, pas vraiment …

Alors vous allez nous dire : à quel moment du coup se sent-on prêt ? et bien nous pensons que ça dépend du parcours de chacun en sortie d’école, de la structure où vous exercez, des rencontres professionnelles que vous faites … 

“Pour ma part, je pense pouvoir dire que je me suis sentie autonome et bien dans mes baskets environ 1 an et demi après ma sortie d’école. “

Pauline

Mais attention, l’autonomie ne veut pas dire “savoir tout faire”, loin de là ! Il est normal d’avoir parfois besoin d’avis de collègues, d’échanger sur des cas, de potasser des sujets…

Tout ça on aura le temps d’en reparler dans d’autres articles ! 

Alors soufflez un bon coup… ça va le faire, on est là avec vous ! 

Bibliographie

https://www.oniris-nantes.fr/etudier-a-oniris/equipements-pedagogiques/virtual-vet/

https://www.vet-alfort.fr/formation/formation-initiale-et-specialisee/projet-pedagogique

http://www.envt.fr/menu-og-31/programmes-p%C3%A9dagogiques-syllabus

 

PS : Une étude de l’an dernier a montré que les vétérinaires récemment diplômés se sentent en moyenne prêt vers 6,8 mois (en étant supervisés) mais pas avant 10 mois sans supervision … Clairement, vous n’êtes pas tout seul 😉

Duijn C, Bok H, Ten Cate O, Kremer W. Qualified but not yet fully competent: perceptions of recent veterinary graduates on their day-one skills. Vet Rec. 2020 Feb 22;186(7):216. doi: 10.1136/vr.105329. Epub 2019 Nov 25. PMID: 31767696. (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31767696/)

 

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