Masse mammaire chez la chienne et la chatte ?!

Je gère en 4 étapes !

En pleine consultation vaccinale, au cours de votre examen clinique, alors que vous vous appliquez sur votre palpation abdominale, le propriétaire de Nenette, chienne entière de 9 ans, vous rapporte qu’il a senti, il y a quelques semaines une “petite boule” sur le ventre de sa chienne. Après une dizaine de minutes à la recherche de la “petite boule” entre les poils et les mamelles, entrecoupées de “oh ben je la retrouve pas docteur… tant pis je vous la montrerais la prochaine fois hein”, la masse est enfin retrouvée ! Vous la palpez entre le pouce et l’index de votre main droite quand le propriétaire de Nenette vous demande “Alors, docteur, c’est grave ?” 

En tant que jeune véto, en remplacement ou lors de nos toutes premières consultations, nous avons tous déjà été confrontés à cette situation et ce regard déconcertant, en attente de réponse … alors entre le “oh ça n’a pas l’air bien méchant, c’est à surveiller” et le “ oulala on l’opère demain !”, le but de cet article est de vous donner les clés pour savoir comment réagir, comment organiser votre démarche et surtout comment communiquer avec le propriétaire à l’aide de quelques chiffres. Les différentes parties seront illustrés par de rapides cas cliniques, facilement repérables en vert en italique 😉

Vous êtes prêts ?! … Sommaire !

Étape 1 : Examen clinique, diagnostic différentiel et premiers examens 

La mise en évidence d’une masse mammaire est très souvent une découverte fortuite, lors d’une consultation vaccinale ou de routine. Parfois, la masse a été sentie et est rapportée par le propriétaire. Parfois, c’est le clinicien qui la met en évidence lors de son examen. 

Initialement, les masses mammaires peuvent avoir la taille d’un grain de riz. Ainsi, la palpation minutieuse du tissu mammaire doit être systématique lors de tout examen clinique chez la femelle et chez le mâle, afin d’avoir une prise en charge la plus précoce possible. Environ ⅓ des masses mammaires concernent les mamelles inguinales chez la chienne (M5) et ¼ concernent les mamelles abdominales (M3-M4).  

Les tumeurs mammaires peuvent se présenter sous la forme de masses ou de nodules simples, multiples, unilatéraux ou bilatéraux. Lors du diagnostic, dans environ 60% des cas, il y a plusieurs nodules. Parfois, les masses présentes peuvent être ulcérées voire présenter des signes de surinfections. Ces ulcérations peuvent être simplement liées à la taille de la masse si celle-ci est très volumineuse. Dans les cas de tumeurs plus petites, les ulcérations peuvent être un signe de malignité. 

                   

Parfois, des signes cliniques associés à des métastases ou à un syndrome paranéoplasique sont déjà présents : boiterie, PuPD, difficultés respiratoires, perte de poids… 

Lorsqu’un nodule est mis en évidence, il est important d’avoir en tête le diagnostic différentiel qui va avec : 

  • Kyste 
  • Abcès
  • Fibroadénomatose (hyperplasie non néoplasique), retrouvé souvent chez les jeunes chattes non stérilisées dans les semaines qui suivent les premières chaleurs
  • Tumeur bénigne (adénome, fibroadénome…) 
  • Tumeur maligne (carcinome, sarcome…) 

Lors de cette première consultation, il est possible de réaliser des cytoponctions à l’aiguille fine. Cet examen est rapide, simple, peu coûteux et peut être réalisé au chevet de l’animal. On s’attache à rechercher des critères de malignité significatifs, à savoir : 

  • Une variabilité dans la taille des noyaux 
  • Des formes nucléaires géantes 
  • Une variation de forme ou de taille de la chromatine
  • Un nombre de nucléoles anormal 
  • Des formes et des tailles de nucléoles anormales
  • Des figures de mitose 
  • Un fort rapport nucléo-cytoplasmique

Toutefois, chez la chienne, ces cytologies doivent être interprétées avec précaution du fait notamment d’une mauvaise représentativité de l’échantillon, la plupart des tumeurs mammaires étant hétérogènes (infiltration de cellules inflammatoires dans la plupart des cas). De plus, certaines atypies cellulaires peuvent faire penser à des critères de malignité. Ainsi on s’en sert préférentiellement chez la chienne pour exclure l’hypothèse d’un abcès, d’un kyste ou bien pour mettre en évidence un lipome ou un mastocytome cutané par exemple. Seule l’histologie permet le diagnostic de certitude. 

Chez la chatte, les tumeurs étant majoritairement caractérisées par un type tumoral unique, la cytologie donne de meilleures indications diagnostiques. 

Secondairement, des biopsies peuvent être proposées. Toutefois, en pratique, elles sont très rarement réalisées. En effet on préfère s’orienter directement vers un retrait chirurgical de la masse, qui sera à la fois diagnostic et thérapeutique. 

Étape 2 : Bilan d’extension et pronostic pré-opératoire

Dans l’idéal, un bilan d’extension complet est réalisé afin d’apporter un premier pronostic pré-opératoire (c’est-à-dire sans connaître avec certitude la nature de la tumeur). Il s’agit bien sûr d’une démarche à discuter avec le propriétaire de l’animal. 

Un bilan d’extension complet comprends : 

  • Un examen dermatologique attentif : recherche de signes de carcinomatose cutanée, se manifestant sous la forme de nodules rougeâtres progressivement coalescents par formation de plaques, ulcérées. 
  • Un examen des nœuds lymphatiques périphériques (le plus souvent axillaire et/ou inguinal superficiel) : taille, consistance et mobilité avec les tissus adjacents. 
  • Une échographie abdominale : notamment recherche des noeuds lymphatiques iliaques, lombo-sacrés, examen du foie, de la rate, associée à des cytoponctions ou biopsies en cas d’anomalies
  • Des radiographies thoraciques (trois incidences) voire un scanner thoracique pour plus de sensibilité

 

Avec ces données, le clinicien peut utiliser la classification TNM. Il s’agit d’une classification des tumeurs malignes chez l’homme, adaptée pour les carnivores domestiques depuis 1980. Elle s’appuie sur des critères cliniques et paracliniques afin de donner un premier pronostic préopératoire, sans même connaître avec certitude la nature de la tumeur. 

En fonction de ces différents critères, on peut déterminer 4 stades cliniques chez le chien :

Chez le chat, les critères sont légèrement différents mais le principe reste le même :

Ces pronostics pré-opératoires sont bien entendu approximatifs et doivent être complétés par l’analyse histologique de la tumeur. Toutefois, ils donnent des clés essentielles pour aider le propriétaire à choisir, en toute connaissance de cause, la prise en charge qu’il considère adaptée à son animal. 

Ainsi, dans le cas d’une tumeur > à 5 cm, avec présence de métastases pulmonaires, l’intérêt de la chirurgie pourra être discuté en fonction du confort de l’animal, de la gêne que peut représenter la tumeur et du risque de surinfection. 

Milly est une petite chienne croisée Caniche stérilisée (âge de la stérilisation inconnue) de 16 ans. Elle est présentée en consultation pour une masse “qui grossit” vu par le propriétaire. Cette masse présente une gêne pour la chienne, notamment lorsqu’elle se couche mais également lors de ses déplacements. L’examen clinique met en évidence une masse mammaire sur M4 à gauche, d’environ 6 cm de diamètre, non adhérente au plan musculaire. Les nœuds lymphatiques périphériques ne présentent pas d’anomalie. Le propriétaire ne souhaite pas réaliser de bilan d’extension et préfère opérer la chienne “a minima” afin de la soulager et d’améliorer son confort. Dans ce cas, le stade TNM est soit un stade III, soit un stade V (métastases non recherchées ici). Le propriétaire est informé du risque de récidive locale ainsi que du pronostic en cas de stade avancé. Une mammectomie locale est réalisée. Aucune analyse histologique n’est réalisée.

Mimi est une chatte de 12 ans, stérilisée à l’âge de 5 ans, elle a pris la pilule de sa puberté jusqu’à la stérilisation. Elle est vue en consultation vaccinale. Le propriétaire rapporte une fatigue ces 2 derniers mois. A l’examen, deux nodules mammaires sont mis en évidence sur M4 et M3 à gauche. Les nodules sont fermes, non adhérents et mesurent entre 1 et 2 cm. Le nœud lymphatique inguinal est perceptible à gauche et peu mobile. Mimi a également perdu 1 kg en un an. Le bilan d’extension met en évidence des métastases pulmonaires visibles aux radiographies thoraciques. D’après ces éléments cliniques et paracliniques, Mimi est en stade V. Le propriétaire décide de ne pas opérer.

                         

Étape 3 : Chirurgie et diagnostic

La prise en charge chirurgicale a pour but de retirer l’ensemble de la tumeur et de limiter au maximum le risque de récidive locale et à distance. Pour cela, plusieurs choix s’offrent à nous… Ils dépendent du bilan préopératoire vu précédemment mais aussi des souhaits du propriétaire, de l’état de santé général de l’animal (notamment l’évaluation des risques anesthésiques) et de considérations financières. L’objectif est de retirer “large” tout en étant le moins délabrant possible et en limitant les risques de complications postopératoires. 

Ainsi, il est possible de retirer seulement la masse, toute la mamelle concernée, la demi-chaîne mammaire concernée, la chaîne entière, la chaîne entière et les ganglions de drainage, les deux chaînes mammaires… Bref tout est possible ! 

Voici les principales recommandations actuelles : 

  • Si la masse est inférieure à 0,5 cm alors un retrait simple de la masse est possible
  • Si la masse est inférieure à 1 cm, alors un retrait de la mamelle concernée est possible 

Dans ces deux cas, une reprise chirurgicale pourra être envisagée à la suite de l’analyse histologique de la masse 

  • Si la masse est supérieure à 1 cm alors le retrait de la chaîne entière est conseillée. On considère qu’une femelle avec une tumeur mammaire a trois fois plus de risques d’en développer une autre secondairement. Ce retrait est ainsi curatif et préventif. 
  • Si l’animal présente des masses sur les deux chaînes alors elles doivent être toutes les deux retirées, en deux interventions à 4 semaines d’intervalle minimum. 

Si le retrait d’une demi-chaîne est préférable (souhaitée par le propriétaire, risque anesthésique etc…) alors le retrait dépend de la localisation de la masse chez la chienne : 

M1 : retrait de M1 M2 M3 et du NL axillaire 

M2 : retrait de M1 M2 M3 et du NL axillaire 

M3 : retrait obligatoire de  toute la chaîne, du NL axillaire et du NL inguinal 

M4 : retrait de M4 M5 et du NL inguinal 

M5 : retrait de M4 M5 et du NL inguinal 

 

Gini est une chienne Boxer entière de 9 ans, vue pour rappel de vaccination. A la palpation, trois nodules mammaires, de la taille de grains de riz, sont mis en évidence sur M5 à gauche, un nodule de 2 cm sur M2 à gauche et une masse de 2 cm environ sur M5 à droite. Les nodules ne sont pas adhérents. Les nœuds lymphatiques régionaux ne présentent pas d’anomalie significative. L’échographie abdominale ainsi que les radiographies de thorax (trois incidences) ne montrent pas de métastases visibles. Ainsi, pour toutes les masses mises en évidence, il s’agit d’un stade TNM 1. La chaîne entière à gauche est retirée. L’analyse histologique permet de mettre en évidence 3 adénomes de type complexe et mixte et un carcinome complexe tubulo-papillaire, micro infiltrant, sans embole visible, de grade I. Le retrait de la seconde chaîne mammaire est programmée 4 semaines plus tard. Un suivi tous les 4 à 6 mois est mis en place. 

Il est toujours possible de réaliser un premier retrait a minima et de réintervenir en fonction des résultats de l’histologie. Toutefois, cette option conduit à réaliser deux anesthésies, laisse passer plus de temps et engendre plus de manipulations ce qui augmente le risque de dissémination tumorale. 

Le fait de stériliser lors du retrait de la tumeur ne fait pas consensus chez la chienne. Des études ont montré un meilleur taux de survie lorsqu’une ovario-hystérectomie était pratiquée juste avant le retrait de la chaîne mammaire. En réalité ce bénéfice ne serait présent que pour un certain type tumoral contenant des récepteurs aux oestrogènes. 

Chez la chatte, il n’y a pas de bénéfice démontré à stériliser au moment de la chirurgie. 

Le diagnostic de certitude peut ensuite être obtenu grâce à l’analyse histologique de la masse retirée. Chez la chienne, on retrouve environ 50% de tumeurs malignes (des carcinomes, des sarcomes, des carcinosarcomes) et 50 % de tumeurs bénignes (adénomes, papillomes…). 

Parmi les tumeurs malignes, on rapporte un taux de survie variable à 2 ans selon le type tumoral : 

  • 52 à 65% pour les adénocarcinomes 
  • 31,3% pour les carcinomes trabéculaires 
  • 13,2% pour les sarcomes 

Chez la chatte, 80 à 90% des tumeurs mammaires sont des carcinomes selon les études. Entre 50 et 90% ont déjà métastasé au moment du diagnostic. 

Au-delà de l’identification du type tumoral, il est important de réaliser un grading histologique. Il a pour but de déterminer le pourcentage de malignité pour chaque type histologique. Il existe deux échelles de grading. Elles se basent principalement sur la différenciation cellulaire, l’anaplasie, les figures de mitoses ou la présence d’emboles vasculaires. L’obtention du grade de la tumeur permet d’évaluer le risque de récidive locale et de donner un pronostic global le plus fiable possible. 

 Il est important de faire analyser toutes les masses retirées car dans 40 à 60% des cas les différents nodules ne sont pas de même nature (comme dans le cas de Gini).

Étape 4 : Chimiothérapie, radiothérapie et autres traitements adjuvants

En fonction des résultats de l’histologie, une thérapie adjuvante à la chirurgie peut être recommandée chez la chienne. C’est le cas lors de tumeurs malignes de stade avancé (à partir du stade II ou du stade III selon les études), de tumeurs de haut grade ou lors de mise en évidence d’emboles à l’histologie. 

Chez la chatte, la chimiothérapie peut être recommandée dans la plupart des cas, après la chirurgie. 

Les molécules les plus utilisées sont : la doxorubicine ou la mitoxantrone, le cyclophosphamide, le carboplatine ou le 5-fluoro-uracile. 

Jasmine est une chienne croisée border collie entière de 7 ans. Elle est présentée en consultation pour une masse mammaire sentie par les propriétaires. A l’examen, cette masse se situe sur M5 à gauche, elle mesure environ 4 cm et n’est pas adhérente. Les noeuds lymphatiques inguinaux ne sont pas perceptibles cliniquement. Des cytoponctions à l’aiguille fine sont proposées mais non réalisées car les propriétaires souhaitent dans tous les cas retirer cette masse. Le bilan d’extension complet est négatif. D’après la classification TNM, Jasmine est donc en stade II. En accord avec les propriétaires, la chaîne mammaire gauche est retirée chirurgicalement. L’analyse histologique permet le diagnostic d’un carcinome de grade 2. (grading d’Elston et Ellis). La chimiothérapie étant recommandée selon certains auteurs dès le stade II (tumeur de plus de 3 cm chez la chienne), elle est proposée aux propriétaires. Jasmine reçoit de la doxorubicine, 30 mg/m2 en IV strict, toutes les trois semaines, 5 fois de suite. Une échocardiographie est réalisée avant la mise en place du protocole puis après la 4ème séance. Une numération formule est réalisée avant chaque séance. 

La radiothérapie est exceptionnellement indiquée dans la prise en charge adjuvante des tumeurs mammaires, dans des cas particuliers : 

  • Lorsque l’exérèse totale n’est pas possible 
  • Lorsque le risque de récidive local est majeur 

 L’utilisation d’anti-COX 2 peut être intéressante dans le cas de certaines tumeurs mammaires. Leur bénéfice a notamment été prouvé dans le cas des carcinomes inflammatoires. Pour les autres tumeurs malignes, leur prescription répond à une certaine logique (l’expression de la COX 2 a été démontrée dans les tumeurs mammaires), même si aucune étude n’a pour le moment montré leur bénéfice. Les protocoles décrits utilisent par exemple le firocoxib à 5 mg/kg une fois par jour ou le meloxicam à 0.1 mg/kg une fois par jour.

Selon la nature de la tumeur, un suivi plus ou moins rapproché sera nécessaire sur les premiers mois post-opératoires. Dans les cas de tumeurs bénignes, un suivi annuel minutieux est recommandé pour surveiller l’apparition de nouvelles masses. 

Chez les chiennes opérées en marges saines de tumeurs mammaires de grade intermédiaire, un suivi tous les 4 à 6 mois est recommandé. Enfin, chez les chiennes présentant une tumeur agressive ou de grade élevé et chez les chattes présentant un carcinome, un suivi à un mois post-opératoire est recommandé puis tous les trois mois.

Prévention 

Les tumeurs mammaires sont les tumeurs les plus fréquentes chez les chiennes non stérilisées et les troisièmes tumeurs les plus fréquentes chez les chattes. Elles touchent les animaux entre 8 et 12 ans en moyenne. 

Chez la chienne, certaines races semblent plus à risque : Caniche, Cocker, Épagneul Breton, Boxer, Bouvier bernois… Chez la chatte, les types siamois et orientaux semblent plus touchés. 

La prévention passe par la palpation minutieuse et fréquente du tissu mammaire afin de détecter le plus précocement possible toute anomalie. 

Enfin, la stérilisation chirurgicale reste l’outil le plus fort pour diminuer le risque de tumeur mammaire. 

A noter que le risque de développement de tumeur mammaire est multiplié par 3 chez les chattes qui prennent régulièrement la pilule.

Conclusion

On vous l’accorde, c’est pas tout simple ! On espère que cet article vous aidera à avoir quelques repères de prise en charge à proposer ainsi que des chiffres clés pour répondre à un propriétaire inquiet. Dans ce contexte (comme dans beaucoup d’ailleurs), l’important reste la communication et l’information claire délivrée au propriétaire. La prise de décision concernant la prise en charge doit se faire en accord entre ce dernier et l’équipe soignante. 

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